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CHAPITRE XXXII. DE LA FAMILLE DES CHIMÉRIDES.

Lorsque j'ai commencé la publication de mes recherches sur les poissons fossiles, j'étais loin de supposer que je devrais un jour consacrer un chapitre particulier á cette famille. Au commencement de 1835, on ne se doutait point encore de l'existence de Chimères fossiles; ce fut M. le D' Buckland qui, le premier, les signala á l'attention des paléontologistes et des géologues, en rapportant au genre Chimaera plusieurs mâchoires fossiles découvertes par sir Philipp Egerton, le Rév. Townsend et M. Mantell, dans l'argile de Kimmeridge, le Portlandstone, la craie marneuse et la craie blanche. Cette découverte est une des plus intéressantes el des plus inattendues qui aient été faites parmi les poissons fossiles.

Peu connues jusqu'ici, les Chimères vivantes ont été rangées dans l'ordre des poissons cartilagineux, entre les Esturgeons et les Squales; mais leur organisation, et la structure de leur squelette, qui importe surtout á la paléontologie, n'ont pas été suffisamment étudiées. La découverte de M. Buckland est dès-lors destinée á fixer d'une manière particulière l'attention des ichtyologistes sur cette singulière famille. Un examen détaillé de ces poissons bizarres est devenu d'autant plus indispensable, que sir Philipp Egerton, après avoir fait une étude comparative de toutes les espèces fossiles connues jusqu’à présent, est arrivé á ce résultat tout-à-fait imprévu, que non-seulement elles n'appartiennent ni au genre Callorhynchus, ni même au genre Chimaera, comme on l'avait cru d'abord, mais qu'elles constituent des genres différens de ceux dans lesquels on a rangé les espèces vivantes. Ce résultat me parait d'autant plus plausible que, de cette manière, les Chimères, au lieu de ne former qu'un seul genre qui compterait des espèces dans le Lias, les terrains jurassiques moyens et supérieurs, la craie et les terrains tertiaires, constituent plusieurs types distincts, dont chacun paraît avoir prédominé dans une certaine époque géologique.

L'examen des débris fossiles de cette famille m'a fait apprécier l'étroite affinité qui existe entre les Chimères et la grande famille des Squales. Cette affinité est si grande, que Ton pourrait être tenté de les réunir complètement; elle ressort surtout lorsqu'on compare les mâchoires des Chimères avec les genres éteints que j'ai décrits sous les nom de Cochliodus, de Ctenodus et de Ceratodus. En revanche, les Esturgeons s'éloignent de plus en plus des autres poissons cartilagineux, á mesure qu'on apprend á les mieux connaître. Je pense dès-lors qu'à l'avenir l'on ne pourra plus laisser réunis sous un même chef ces deux groupes de poissons, comme le fait encore Cuvier dans la deuxième édition du Règne animal, et qu'il faudra rapprocher les Esturgeons des Ganoides, comme je lai fait dans le second volume de cet ouvrage, tandis que les Chimères devront former une famille distincte, telle qui; l’a déjà établie le prince de Canino dans son Systema iclithyoloyicum et dans sa Fauna italica.

Avant d'entrer dans de plus amples détails sur cette intéressante famille, je m'empresse de faire remarquer que c'est á sir Philipp Egerton que je dois la communication de la plupart des faits nouveaux que j'aurai á énoncer; mon savant ami ayant élaboré une monographie détaillée de ces fossiles, dont il a bien voulu me communiquer les principaux résultats, avant même de les avoir publiés.