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CHAPITRE XXII. DU GENRE CARCHARIAS Cuv.

Cuvier, qui a établi ce genre, le caractérise de la manière suivante: «Les Requins (Carcharias), tribu nombreuse et la plus célèbre, ont les dents tranchantes, pointues et le plus souvent dentelées sur leurs bords; la première dorsale bien avant les ventrales et la deuxième à-peu-près vis-à-vis l'anale. Ils manquent d'évens; leur museau déprimé a les narines sous son milieu, et les derniers trous des branchies s'étendent sur les pectorales.»

Ce genre ainsi circonscrit a subi depuis Cuvier de nombreuses modifications. Rafinesque commença par en éloigner le Squalus vulpes 'dont il fit son genre Alopias; plus tard Smith en éloigna le Carcharias Lamia qu'il prit pour type de son genre Carcharodon. Mais ces deux coupes n'appauvrirent pas sensiblement le genre des vrais Carcharias, puisque ces nouveaux genres ne comptent chacun qu'une seule espèce vivante. Leur importance devait surtout se faire sentir dans les faunes des époques antérieures à la nôtre; car il se trouve que la plupart des espèces fossiles connues maintenant doivent passer dans le genre Carcharodon, dont la dentition présente des caractères très-précis.

Il résulte de la diagnose de Cuvier rapportée ci-dessus, que la dentition ne joue qu'un ròle très-secondaire dans les caractères des vrais Carcharias. On y rencontre des dents de toutes les formes et souvent il règne même la plus grande différence entre les dents des deux mâchoires, ce qui rend la détermination des dents isolées très-difficile, sinon impossible. Elles n'ont qu'un caractère commun qui les distingue profondément des dents des Carcharodon, c'est leur structure microscopique, leur dentine présentant un cône creux á l'intérieur, tandis qu'elle est massive dans les Carcharodon.

MM. Müller et Henle ont fort bien senti cet inconvénient, et pour y remédier, ils proposent de diviser le genre Carcharias en cinq sous-genres, qui sont les suivans:

1° SCOLIODON. Dents tranchantes dépourvues de dentelures, ayant leur pointe tournée en arrière; égales dans les deux mâchoires, excepté qu'il y a á la mâchoire supérieure une dent impaire qui manque á la mâchoire inférieure. Trois espèces: C. laticaudus M. et H. - C. acututs Rüpp. - C. Lalandi Val.

2° PHYSODON. Les dents sont conformées en général comme dans le sous-genre Scoliodon, seulement elles sont plus grosses et moins tranchantes. La pointe en est plus élancée et plus grêle. Une dent moyenne droite dans la mâchoire supérieure, deux petites dents moyennes á la mâchoire inférieure. Espèce: C. Mülleri Val.

3° APRION. Les dents sont lisses dans les deux mâchoires; celles de la mâchoire supérieure sont droites ou légèrement inclinées en arrière; celles de la mâchoire inférieure sont droites. Les unes et les autres ont une pointe étroite relativement á la base: C. brevispina M. et H. - C. isodon Val. – C. acutidens Rüpp.

4° HYPOPRION. La base des dents de la mâchoire supérieure est fortement dentelée des deux côtés ou seulement du côté antérieur. La pointe des dents de la mâchoire supérieure et les dents entières de la mâchoire inférieure sont lisses. Espèces: C. Macloti M. et H. – C. semiodon Val.

5° PRIONODON. Dents obliques ou droites, triangulaires ou munies d'une pointe étroite leposant sur une base large; dentelées des deux côtés ou seulement á la mâchoire supérieure. Espèces: C. glaucus Cuv., - C. Lamia Riss., - C. Milberti Val., - C. gangeticus M. et H., - C. Glyphis M. et H., - C. amboinensis M. et H., - C. oxyrhynchus M. et H., - C. leucas Val., C. melanopterus Q. et Gaim., - C. albimarginatus Rüpp., - C. Sorrah Val., - C. obscurus M. et H., - C. Henlei Val., - C. Menisorrah Val., - C. falciformis Bibr. - C. Dussumierii Bibr., - C. Temminckii M. et H., - C. limbatus Val.

Ces distinctions sont cependant, il faut en convenir, loin de résoudre toutes les difficultés. Le sous-genre Prionodon en particulier renferme des élémens fort hétérogènes; et pour ne citer que les figures qu'en donnent MM. Müller et Henle, quels rapports y a-t-il entre la dentition du C. Milberti et celle du C. oxyrhynchus, ou bien entre celle du C. oxyrhynchus et celle du C. Menisorrah, ou bien entre celle du C. Menisorrah et celle du C. gangeticus, ou bien entre celle du C. Menisorrah et celle du C. Milberti. Il est évident que cette classification devra être soumise á une nouvelle révision et subir d'importantes modifications, s'il est vrai que les différences des dents des Carcharias ont réellement une valeur générique et correspondent á des types particuliers.

Quand on considère la grande variété de forme qui règne dans la dentition des Carcharias vivans, on est tout étonné du petit nombre de dents fossiles qui s'y laissent rapporter. Je ne connais jusqu'ici que trois dents qui rentrent dans ce grand cadre. Sur ce nombre, deux proviennent de l'époque crétacée et rentrent dans la division des Prionodons, s'il est bien vrai que ce soient réellement des Carcharias; car on ne connaît pas encore leur structure microscopique, et leur forme extérieure n'est même qu'imparfaitement conservée. La troisième, de l'époque tertiaire, est une dent très-voisine du Carcharias (Prionodon) Glyphis M. et H.; mais comme ce type est si différent de tous les autres, j'ai cru devoir en faire un genre á part, sous le nom de Glyphis. De cette manière, il ne nous reste que deux espèces de vrais Carcharias fossiles, le Carcharias tenuis et le Carcharias acutus.