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CHAPITRE XI. DU GENRE HYBODUS Agass.

 

On a pu voir par l'étude que nous avons faite ci-dessus des rayons d'Hybodus, que ce type est très-répandu dans les terrains des formations secondaires. J'ai décrit vingt-deux espèces de rayons, et le nombre des espèces de dents que nous allons examiner est à-peu-près égal; car je ne connais pas moins de vingt espèces de dents d'Hybodes proprement dits et sept espèces de Cladodes, qui sont un genre trop voisin des Hybodes pour que l'on ne doive pas admettre que leurs rayons sont aussi très-semblables. Cependant il n'y a encore que deux espèces dont nous puissions rapporter avec certitude les dents á des piquans connus: ce sont le H. reticulatus, dont on a retrouvé á plusieurs reprises les dents, les rayons et le chagrin réunis, ensorte qu'il ne peut exister aucun doute sur ce rapprochement, et le H. minor, qui se trouve dans le même cas. Quant aux autres, on peut émettre des suppositions plus ou moins probables sur les rapprochemens á tenter; mais nous ne possédons pas des indices suffisans pour nous dispenser de décrire les dents sous des noms particuliers, comme nous l'avons fait pour les rayons.

 

Les dents d'Hybodes ont une physionomie assez particulière, qu'il est difficile de méconnaître lorsqu'on s'est familiarisé avec ce type. En général plutôt grèles que massives, ces dents se caractérisent par la présence d'un cône médian ordinairement sensiblement allongé, subulé et pointu. Ce cône, qui, dans beaucoup d'espèces, est aussi long et mème plus long que la base de la dent sur laquelle il repose, est flanqué, des deux côtés, d'un certain nombre de petits cônes que nous appelons cônes secondaires, et qui vont en décroissant du milieu vers les bords, de telle manière que le plus grand est aussi le plus rapproché du cône principal et que le plus petit en est le plus éloigné. Le nombre de ces cônes secondaires n'est pas toujours égal des deux côtés de la dent; tantôt ce sont les antérieurs, tantôt les postérieurs, qui sont les plus nombreux et les plus développés. Jusqu'ici je n'en ai pas remarqué plus de quatre d'un côté; mais souvent il n'y en a qu'un ou deux. Les dents, qui en sont complètement dépourvues, ne me paraissent pas normales, et j'envisage l'absence des cônes secondaires comme accidentelle. Le cône principal est plus ou moins comprimé de dehors en dedans, de telle manière que la face externe est plus plate que la face interne, et que les bords antérieur et postérieur sont en saillie; cependant cet aplatissement ne va jamais jusqu’à rendre la face externe de la dent tout-à-fait plate ou même concave comme chez certains Squales des terrains tertiaires el de l’époque actuelle. Le contraste entre la face externe et la face interne n'est jamais aussi grand chez les Hybodes que chez nos Squales.

 

Les dents d'Hybodes odes nous offrent des différences semblables á celles qu'on retrouve dans les genres vivans, entre les dents antérieures et les dents postérieures. Seulement ces différences sont ici moins prononcées. Les dents postérieures sont arrêtées dans leur développement et le cône principal, au lieu de prendre la forme élancée et subulée qui lui est propre dans les dents antérieures, reste á l'état de varice ou de bouton plus ou moins saillant. Cependant la physionomie fondamentale est la mème, et il n'est guère plus difficile de reconnaître l'espèce dans ces dents postérieures que dans les antérieures.

 

Un autre ^caractère des dents d'Hybodes consiste dans la structure de l'émail. Toute la surface de la dent est couverte de plis verticaux (longitudinaux á l'égard des cônes), plus ou moins gros, suivant les espèces, mais en général très-distincts. Il est plusieurs espèces dans lesquelles ces plis se laissent poursuivre jusqu’à la pointe du cône médian, surtout lorsque celui-ci n'est pas très-haut. Le plus souvent cependant ils s'oblitèrent á la moitié ou aux deux tiers de la hauteur, et la pointe du cône est unie. Mais c'est toujours á la base de l'émail que les plis sont le plus accusés, et lorsque cette base est très-étroite, ils y affectent la forme de petits bourrelets; par exemple dans l'H. reticulatus. La racine de la dent est grosse et osseuse comme celle de tous les Plagiostomes; par sa forme élevée elle ressemble davantage á celle des Cestraciontes qu'à celle des Squales ordinaires; extérieurement elle ne diffère pas sensiblement de la partie émaillée, attendu qu'elle est ordinairement de même couleur et tout aussi lisse; ce n'est qu'en l'examinant á la loupe qu'on reconnaît la structure réticulée qui la caractérise. La racine est en général parallèle á la base de l'émail, ou plutôt c'est la base de l'émail qui suit les contours de la racine, de manière que si la face inférieure de la racine est horizontale ou légèrement concave, la base de l'émail le sera également.

 

La répartition géologique des Hybodes, telle qu'elle ressort de mon tableau synoptique des Ichthyodorulithes, 1 partie de ce volume, page 69, n'a subi aucune modification essentielle par l'étude des dents. Nous voyons des dents d'Hybodes apparaître pour la première fois dans le Muschelkalk, se continuer dans le Keuper, et devenir très-nombreuses dans le Lias et dans les terrains inférieurs du Jura. II n'y a que la craie qui ne nous ait pas encore fourni de dent qu'on puisse rapporter au rayon de la craie de Lewis, que j'ai décrit sous le nom de Hybodus sulcatus. Enfin les Hybodes sont complètement étrangers aux terrains tertiaires et á l'époque actuelle, qui ne contiennent ni rayons ni dents de ce type.

 

Il est difficile de se faire une idée exacte de la physionomie que devaient avoir les poissons du genre Hybodus. Ils tenaient probablement le milieu entre les Cestraciontes et les Lamies; la forme de leurs dents les caractérise comme des poissons voraces, appelés á poursuivre leur proie el á la saisir au moyen d'un râtelier de dents formidables. Mais un semblable mode de vie n'est pas compatible avec des formes lourdes et trapues: aussi suis-je porté á croire que les Hybodes avaient des formes dégagées, un corps élancé comme les Lamies, ou plutôt comme les Odontaspis, qui leur succèdent immédiatement dans les terrains crétacés. Cependant les Hybodes tiennent encore á certains égards aux Cestraciontes. Comme chez ces derniers, chacune des deux dorsales était soutenue par un fort rayon épineux, cannelé longitudinalement, et dentelé au bord postérieur. J'ai acquis la certitude que ces poissons avaient deux dorsales, par le fait qui m'a été rapporté par sir Philipp Egerton et par le Dr. Buckland, que l'on trouve habituellement deux Ichthyodorulites de l’Hybodus reticulatus réunis, toutes les fois qu'on découvre á Lyme Régis des portions un peu considérables du corps de ce poisson. Le Dr. Buckland et miss Philpot possèdent même de nombreux fragmens de cette espèce, qui paraissent avoir appartenu á deux exemplaires, dont chacun a deux rayons épineux: on y remarque en outre plusieurs lambeaux de chagrin, et, dans celui du Dr. Buckland, les mâchoires sont même conservées en entier. Les dimensions des Hybodes étaient probablement assez considérables, et égalaient au moins celles de nos Lamies. On ne saurait méconnaître en outre une certaine analogie entre les Hybodes et les Roussettes (Scyllium). Chez ces dernières, comme chez les Hybodes, les dents ont une pointe médiane plus ou moins saillante, et un nombre variable de petites cornes secondaires; mais les Scyllium n'ont jamais de rayons épineux aux nageoires. Enfin le cône principal des dents d'Hybodontes a une si grande ressemblance extérieure avec les dents de divers Sauriens des terrains secondaires, qu'il faut être sur ses gardes pour ne pas les confondre lorsque la racine manque. Nous verrons cependant plus loin que la structure microscopique permet toujours de les distinguer.

 

Espèces du Lias et des terrains jurassiques.